Dans le secret de l’atelier - 1er épisode - Le modelage

Le modelage de l'argile, c'est le moment où l'idée commence à devenir réalité.

Ici, les manières de faire sont propres à chacune et chacun. On peut procéder, par exemple, par addition ou soustraction de terre. Dès ma découverte de ce nouveau territoire, j'ai adopté la seconde... sous forme de boudins !

Je les façonne grossièrement pour leur donner la forme générale en respectant les proportions de chacune des parties .

Puis, avant de les assembler, je commence par évider les membres.

Bien que cela prenne du temps, ma prof Françoise m'a fait valoir que plus j'enlève de terre - tout en gardant une épaisseur aussi régulière que nécessaire et suffisante - plus je réduis le risque d'avoir des bulles d'air (j'en parlerai dans le prochain billet). J'imagine que nos ancêtres économisaient peut-être ainsi de la terre, puisqu'on peut la réutiliser tant qu'elle n'a pas été cuite.

Bon ben là, je n'avais manifestement pas les proportions dans l'œil, une petite fatigue sans doute. Le buste est bien trop court. Quitte à me contredire - nécessité fait loi - je prépare un morceau de terre, le guilloche ainsi que l'autre partie du torse et les enduis de barbotine, et roule ma poule.

Guillocher ? Petite pensée pour Max Favalelli et Alain Rey : guillocher signifie orner de traits gravés en creux et entrelacés. Appliqué au modelage, cette méthode consiste à gratter des sillons croisés sur les surfaces à assembler avant d’y appliquer la barbotine. Barbotine ?? La barbotine, est l’équivalent d'une colle qui se prépare en mélangeant de l’argile finement tamisée avec de l’eau jusqu’à obtenir une consistance crémeuse ou noisette-chocolat ! J'aime ces mots rattachés à un artisanat qui remonte à la nuit des temps, parfois désuets, poétiques souvent.

C'est dingue, même transpercée de bâtonnets - mini-brochettes en bambou en l'occurrence qui permettent de maintenir les parties entre elles ou leurs axes tant que la terre est encore trop souple, l'ébauche se croit déjà sur la plage, les doigts de pieds en éventails (si si, regardez bien).

Remarquez bien qu'elle n'y est pour rien, c'est uniquement pour que je puisse modeler plus facilement des parties importantes comme ici la jonction entre les deux pieds-chevilles.

J'ai l'impression de faire un saut dans le temps, au jour où j'ai observé mon père réaliser une arthroplastie totale de hanche et où le patient, déjà endormi, s'est retrouvé dans une position peu enviable qui m'a fait fou-rire sous cape. Je croyais naïvement qu'il serait bien sagement allongé comme un mort, sans penser à l'orthopédiste qui prenait soin de lui.

Le modelage se poursuit et vient le moment de recapiter cet enfant innocent.

J'ai préalablement précisé les formes du visage et ajouté les lunettes car je dois bien appuyer les billes initiales (oui j'avoue, un tout petit petit ajout), au risque de déformer la tête - creuse donc - et de fragiliser la soudure cou-corps.

J'y suis presque !

Ne reste plus qu'à parer cette petite fille de ses atours et à ajuster ses lunettes. Je sors du vestaire une marinière et un corsaire rentré dans des bottes de pluie, on ne sait jamais, si l'envie la prenait de sauter dans les mares des rochers.

Avant d'être dorée à 1000°C, la sculpture doit encore patienter et sécher plusieurs jours, toute humidité compromettant sa solidité et démultipliant le risque explosif.

La bouée se morfond elle aussi. Ne manque que le ballon qui a profité d'une légère pente de la planche pour échapper à la photo de famille.